Preprint of the article published in Anatolia Antiqua XX (2012), p. 1-12
doi (Open Access): 10.3406/anata.2012.1320
Do not cite this preprint. Use the open access article instead.
Introduction
Au Bronze récent, la céramique à reliefs est une production bien connue de la céramique hittite et offre à l’iconologue une mine d’informations à l’instar des scènes issues du monde de la sigillographie.[1] Animaux, personnages, mais aussi représentations architecturales appliqués en relief et rehaussés de couleurs vives animent, seuls ou organisés en scènes complexes, la paroi extérieure de certains vases, figeant ainsi une vision détaillée et vivante du monde hittite. Cette production, bien attestée depuis les fouilles d’Alişar, de Boğazköy et de Kültepe, attira immédiatement l’attention des chercheurs, mais ce n’est qu’à partir de la découverte de la jarre d’İnandıktepe, premier exemple exhumé complet,[2] que l’organisation des reliefs a pu être mieux comprise. Au sein de la céramique à reliefs, certaines caractéristiques ont incité à classer les tessons en différents ensembles comme l’a fait de manière pionnière K. Bittel.[3] Il forma un premier groupe défini par la polychromie qui rehausse des personnages élancés, organisés en plusieurs registres sur des lignes d’appui. Il considéra que tous les fragments découverts de ce groupe dépeignaient des processions cultuelles et les data de la période Hittite ancienne. Leur style uniforme incita à dresser un portrait archétype de cette époque : l’oeil oval et fortement souligné, la pommette saillante, le nez pointu, le menton détaché et de sveltes jambes ; le corps des hommes soit de profil soit de face, celui des femmes systématiquement de profil. Il s’agit de représentations stéréotypées.[4] Un deuxième groupe, plus lâche, réunissait les reliefs monochromes (engobés ou non) dont la production se repartissait sur tout le deuxième millénaire. Dans l’étude détaillée menée par R. M. Boehmer, quelques autres critères stylistiques furent proposés à l’aide du nouveau matériel afin d’affiner la datation.[5] Les découvertes récentes à Yörüklü-Hüseyindede Tepesi et Boğazköy de vases à décors de reliefs ont apporté des données substantielles qui permettent de reconsidérer ce corpus toujours grandissant. Parmi les nouveaux vases complets découverts, on retrouve une grande jarre à quatre registres,[6] une petite jarre à frise unique sous le col,[7] et une jarre à col filiforme avec un registre sous l’épaule.[8] Ces trois vases ont pour dénominateur commun l’emploi de la polychromie. Ils sont datés du XVIème siècle à Yörüklü-Hüseyindede Tepesi, vers 1400 à Boğazköy.
En revanche, les découvertes de céramiques monochromes sont plus rares et jamais de vase complet ne fut découvert. C’est dans ce cadre qu’il m’a semblé opportun de reprendre l’étude de deux vases à reliefs monochromes, l’un d’Alaca Höyük, l’autre d’Eskiyapar, publiés par T. Özgüç et qui, malgré leur état fragmentaire, peuvent être reconstitués dans leurs grandes lignes. Ceci permettra d’entreprendre une étude iconographique avant de s’interroger sur la place qu’ils occupent au sein de la production des vases à reliefs.
Le vase d’Alaca Höyük
En 1993, alors que la céramique à reliefs provenant d’Alaca Höyük était pratiquement inconnue,[9]. T. Özgüç publia dix tessons de céramiques à reliefs.[10] Ceux-ci avaient été découverts en 1981 par M. Akok, et selon lui, appartiennent au niveau 3b de la phase II d’Alaca Höyük. Neuf fragments, qui se distinguent par leur pâte et leur engobe, proviennent d’un même vase dont le profil est celui d’une jarre, à l’image de celles d’İnandıktepe ou de Yörüklü - Hüseyindede Tepesi. Tout comme ces vases, les registres sont séparés entre eux par des bandes en relief qui servent de lignes d’appui aux représentations. Si l’on associe ces bandes aux différences de concavité ou de convexité des profils, on peut alors former trois groupes de tessons qui possèdent la même courbure et devaient se situer à la même hauteur (groupes de tesson A-B ; C-D ; E-H de la fig. 1).[11] Ce tri opéré, il est possible de les placer verticalement, si l’on se fonde sur le profil d’une jarre. Pour la reconstruction, c’est le profil de la jarre d’İnandıktepe qui a servi de modèle. Les profils concaves ont été réunis tout en haut. Leur position est en outre assurée par la présence d’un bord du vase (A). Dans la zone médiane nous avons regroupé les profils légèrement convexes et dans la partie inférieure ceux présentant une convexité prononcée.[12] On reconnait in globo le thème des vases à reliefs qui associent processions de musiciens à diverses activités. Selon cette reconstruction, il apparaît distinctement que la jarre était décorée de quatre registres de reliefs et non pas d’un maximum de deux comme cela fut proposé.[13] De toute évidence, il est uniquement possible d’attribuer les tessons à un registre mais pas de déterminer leur ordonnance horizontale ; les fragments ne sont pas jointifs. Il est donc envisageable d’intervertir les tessons d’un même registre et de modifier ainsi la reconstitution ici proposée.
La pâte et l’iconographie du vase
L’engobe employé pour la confection du vase est atypique puisqu’il s’agit d’un engobe blanc uniformément appliqué et poli sur toute la surface extérieure du vase. L’utilisation d’un engobe blanc n’est en soi pas extraordinaire,[14] on le retrouve d’ailleurs abondamment dans les reliefs polychromes mais plus rarement dans un emploi exclusif pour rehausser les reliefs. À Boğazköy les reliefs uniquement engobés de blanc représentent environ 10% du corpus.[15] D’une façon générale, la céramique à engobe blanc devait se distinguer de la production ordinaire, comme nous le rappelle la découverte d’un vase ostentatoire à tête de taureau en ronde bosse à Boğazköy.[16] Au premier registre, situé sous le col du vase, quatre personnages peuvent être restitués. Un individu imposant (1) a la tête orientée vers la gauche et le torse représenté de face avec les mains sur les hanches. Sa tête lourde, massive et large est dominée par l’œil, représenté de face. Le cou trapu, incisé, disparaît sous le col en V d’un vêtement décoré d’incisions de rectangles barrés d’obliques. Le personnage à sa gauche (2) porte un bonnet pointu, incisé de deux lignes horizontales ayant chacune un petit triangle incisé.[17] Du fragment (B) est conservé le bras d’un musicien tenant des cymbales/un tambourin (3) et la tête d’un personnage au bonnet pointu et au nez triangulaire (4). Au deuxième registre seuls deux personnages sont identifiables, même si deux silhouettes se devinent à la fracture de chaque côté du tesson C. Les personnages de profil tiennent un objet circulaire dans la main, cymbale pour le premier (6), un miroir saisi par son manche pour le second (8). À la différence du premier registre, les habits sont décorés d’incisions circulaires faites au poinçon et un vêtement est marqué par un rectangle barré de deux diagonales. Cet élément fait penser à une poche cousue sur le vêtement. Les têtes, de modelé fruste, se distinguent par l’absence de couvre chef ; une longue mèche de cheveux court par-dessus l’épaule du personnage de droite (8). Le troisième registre, qui était le plus long, est de loin le mieux conservé. Le fragment E se scinde en deux représentations distinctes : sur la gauche un groupe de trois personnages assis (9-11) et sur la droite deux personnages se déplaçant (12-13). Les trois individus assis sont représentés de profil, de droite, leurs vêtements et leurs postures sont identiques. Ils reposent sur un socle arrondi et évidé, les jambes tendues en avant. Les figures replient les bras en avant du buste et tiennent de gauche à droite, un objet circulaire (9) puis chacun un bol similaire (10-11). La coupe à la main fait plutôt écho à la position de prêtres (? ) assis sur des sièges.[18] Chaque vêtement poinçonné sur toute sa surface est serré à la taille par une large ceinture. Les têtes sont grossièrement modelées : la joue gonflée, l’œil large en amande avec un nez considérable. Ils portent une tiare (? ) ogivale qui laisse dépasser la chevelure sur la nuque. Les poinçons remplissent également le vide entre les personnages tel un horror vacui. Au devant de la scène, une bande en relief est régulièrement divisée par des incisions horizontales, délimitant des rectangles, eux-mêmes poinçonnés. Cette bande en relief rappelle les représentations d’architecture hittite, en particulier le fragment de Bitik.[19] Tout comme sur celui-ci, on remarque une différence d’échelle entre les individus assis et ceux se déplaçant. Cette dichotomie insiste sur la distinction entre intérieur et extérieur, dont l’opposition est renforcée par l’horror vacui qui ne se retrouve pas au-delà de la bande en relief : les personnages sont assis à l’intérieur d’un bâtiment. Peut-on vraiment envisager de préciser la fonction du bâtiment ? À côté de cette scène, six figures (12-17) se déplacent vers la droite dans de longs vêtements similaires mais qui varient dans leur décoration. Trois robes sont poinçonnées ; deux, unies, et les trois dernières se terminent par un ourlet incisé. À l’avant, un individu de plus petite taille (17), au vêtement uni, tient la hampe d’un objet disparu. Il est précédé d’un animal.[20] Le dernier registre est presque totalement perdu. On reconnait sur le fragment H la tête d’un personnage au rendu grossier (21), l’oeil en amande, le nez disproportionné. Face à lui, une bande en relief verticale, décorée au poinçon, rappelle fortement la bande du tesson E interprétée comme un élément d’architecture. Les poinçons dans les espaces vides autour du personnage nous inclinent à reconnaître la matérialisation d’un intérieur. Le fragment I, à la position incertaine, illustre la partie inférieure d’une jupe (? ) triangulaire à ourlet incisé (20). Enfin, l’élément fragmentaire du quatrième registre (19) reste énigmatique.